Les Invisibles (2013-17) – work in progress
Installations évolutives, vidéo, photographie : Delphine Ziegler
Les « Invisibles » vivent reclus dans une grange comtoise, dont l’état de délabrement pourrait évoquer un paysage chaotique d’origine ou de fin du monde, où l’humanité se trouve livrée à elle-même. Leur présence ne devient perceptible que si la lumière du jour pénètre, sous la forme de rayons, par quelques rares orifices.
Réalisés avec du grillage, du fil de fer et du papier calque, les « Invisibles » sont de taille humaine. Leur apparence translucide les confond à la pierre omniprésente. Venus d’ici ou d’ailleurs, d’hier ou d’aujourd’hui, ils n’ont pas d’identité propre. Ils sont tapis dans l’ombre, en arrière-plan, anonymes, tels les figurants d’un film, les personnages secondaires ou les « petites gens » d’un tableau ou d’un roman. Ils ne parlent pas car ils n’ont pas droit au premier rôle. La seule attention à leur égard est celle que leur portent les rais lumière, qui, tel un phare balayant les espaces, détectent leur présence…
Ils se tiennent là, réunis comme des parcelles d’humanité évoquant des peuples de l’oubli ou des égarés, avec leurs gestes et postures de survivants. Ils rappellent les sans-abris, les sans-papiers, les exclus, les clandestins, les exilés, les migrants… ceux du temps présent comme ceux de tous les temps. Car leur présence dans ce lieu abandonné les rend encore plus précaires et vulnérables.
Petits peuples de la marge, tapis sous une forêt de tuiles et de poutres, à l’abri du monde. Petits peuples de l’ombre, en sous-exposition, que seules, les raies de lumière rendent perceptibles… Groupuscules, foules anonymes, familles, couples, qui font oublier que l’on est soi. Pas d’intrigue, pas de scénario ; juste du « vivre ensemble », du côte à côte, qui se concrétisent par des mises en relation dans l’espace : des « installations » transitoires et éphémères.
La photographie en mémorise la trace et inscrit chaque étape, les transitions qui permettent d’avancer ; car ces exclus du monde diurne ne restent pas figés dans la pénombre ; ils se projettent dans leurs rêves. Avec la caméra, les instants présents s’accumulent et se fondent pour devenir cheminement; une partition s’écrit et mûrit au fil du temps, depuis 2013 …
Ce projet s’inscrit dans la globalité d’une démarche qui met en rapport l’espace, le lieu, l’in situ et ce qui s’y passe. Quels nouveaux rapports s’établissent lorsque ces personnages sont déplacés? Quel est l’impact du lieu sur leur présence et de leur présence sur le lieu? Comment le sens, ou des sens, se développent t-ils à partir de ces changements opérés dans l’espace ? Quels sortes de récits prennent chair?